Revue de presse
“Que se passe-t-il lorsque l’on achète une Saab 900 et que l’on roule autour d’Höganäs, en Suède ? C’est ce que l’on découvre, en lisant Requiem sur roues, le nouveau roman d’Alain Gnaedig, présenté mercredi 25 juin, à la Librairie du quai, à Indre (Loire-Atlantique).”
“Traducteur du suédois (mais également du danois, du norvégien et de l’anglais), comptant à son actif plus de 150 ouvrages traduits, Alain Gnaedig est lui-même écrivain. Dans Requiem sur roues, il nous emmène dans un pays qu’il aime tout particulièrement, la Suède : l’achat d’une voiture, une Saab 900, est prétexte à une escapade nous conduisant sur les lieux qui furent naguère ceux où fut produite cette marque emblématique aujourd’hui disparue, mais plus largement nous offre une réflexion sur l’évolution de notre continent. Alain Gnaedig est un passionné de la marque SAAB, dont il a déjà possédé 7 exemplaires différents. Premières voitures à avoir été conçues et testées en soufflerie (SAAB ayant d’abord été constructeur aéronautique), elles ont fait la fierté de l’industrie automobile suédoise. Commençant son périple dans le Nord-Ouest de la Scanie (le nom de la région rappellera quelque chose aux amoureux de l’inspecteur Wallander !), à Höganäs, l’auteur nous montre les transformations qui ont été à l’oeuvre en Suède, qu’il s’agisse de la fermeture de chantiers navals, de la fin des travailleurs de la mer, d’une usine de production de céramique fermée et délocalisée en Thaïlande… et bien sûr de la fin des anciennes usines Saab, dont les immenses parkings sont désormais vides ou n’accueillent plus que des touristes souhaitant se remémorer la marque sur l’un des sites. Cette certaine idée du progrès, c’est celle de la sociale-démocratie suédoise, ce « vent qui sentait bon, (…) qui soufflait dans le sens du progrès, et qui me portait », dit d’ailleurs d’elle Alain Gnaedig, lorsqu’il pose la première fois le pied dans ce pays. Un concept à part, combinant un marché du travail régulé par les accords entre partenaires sociaux, des services publics très conséquents et un haut niveau de protection sociale, mais qui fut dépecé à partir des années 90. Requiem sur roues est un livre court, d’un peu plus de 150 pages constituées de courts chapitres, et se lit relativement vite. Il n’en laisse pas moins une réelle trace dans l’esprit du lecteur ; il nous montre une Suède frappée par la concurrence mondialisée, qui a dû se séparer de certains joyaux de son industrie (Saab automobile fut racheté par General Motors avant d’être mis en cessation d’activité dans les années 2010) ; au-delà de la Suède, le livre interroge le lecteur sur la place de l’industrie dans nos sociétés européennes, le déclin de notre modèle et de notre place dans le monde. Ce constat est livré sans le moindre misérabilisme, les faits déroulent sous nos yeux, comme les paysages de Suède que j’imaginais lorsque la Saab 900 parcourait les routes du pays. Une très belle invitation au voyage qui ne se refuse pas !”
“Méditation mélancolique sur le mythe du modèle social suédois, sur celui insoutenable de la bagnole et sur la disparition de l’industrie, de l’attachement à l’objet manufacturé, à l’endroit où il est produit et surtout sur ce que l’ensemble révèle de nos sociétés. Avec une plume délicieusement ironique, moqueuse et attendrie, en traducteur attentif, Alain Gnaedig nous promène dans son aventure, mi burlesque mi spéculative, qui consiste à acheter un Saab 900 afin de la ramener en France, à explorer ainsi son lien avec la Suède, avec une certaine vision de l’État providence. Requiem sur roue s’avère un joli portrait de nos attachements à ce que l’on perd, de nos lubies dans ce qui nous en détache. On pourrait commencer par de l’anecdotique : pas si souvent que l’on entend parler, dans un livre de Basse-Indre, de son bassin industriel dont seul la Loire nous sépare. On évoquera donc ce joli récit en quasi voisin, attentif à la description des paysages dits sans histoires. Même si les colorées maisons de Basse-Indre montrent une gentrification assez ancienne et, parions, pérenne, on sait que ces dernières aciéries, aux mains d’un groupe indien mondialisé, sans doute ne survivront pas à un processus de délocalisation, de quête du profit et de la rentabilité dont il est grand temps de se passer. Nous sommes là au centre du sujet de Requiem sur roues : quelle place laisser à une industrie en déshérence, pourquoi l’abandonner, comment en réinventer une écologique, c’est-à-dire locale et la moins injuste possible. Le sujet, au début, laisse un rien sceptique : on n’y connaît pas grand-chose, cycliste on pense le plus grand mal des voitures dont il faudra faire l’économie, habitant dans une ancienne ville ouvrière, pas encore entièrement gentrifiée puisque pavillonnaire, on se méfie toujours un rien de la nostalgie ouvrière. C’est Perec, je crois qui le premier évoqua l’écrivain comme lumpen prolétaire au sens qu’il n’est pas maître de ses moyens de productions. La métaphore me paraît confortable. Nous sommes des cols blancs, de notre confort, sans doute de plus en plus précarisés, nous ignorons tout de la souffrance et l’aliénation d’un travail répétitif, parcellaire et d’une extrême pénibilité physique. Nous n’en savons rien. Ce qui n’empêche pas de questionner la place de l’industrie sans céder à sa mythification. Alain Gnaedig insiste sur la fierté de ceux qui produisaient un objet, une Saab. Était-ce aussi transparent, évident ? Pas en France me semble-t-il. Et pourtant, cette phrase, dans les doutes qu’elle suscite, dit quelque chose de notre moment : « si l’on tourne le dos à l’industrie et au labeur, reste le loisir. » Quelle horreur. Un éternel présent, le tourisme… On serait tenté d’ajouter les scies de la nostalgie, l’écueil du c’était mieux avant dans lequel Requiem sur roues semble parfois bien proche de sombrer. (Qui parle encore de Loire-Inférieure?) Avant, fort heureusement, l’humour : « Soudain, je me suis fait l’effet du vieux schnock pitoyable qui s’accroche au volant de sa bagnole, à tout prix. Alors que la maison brûle. » Avant, aussi, une forme de décence commune qui permet à l’auteur, entre pensée et mémoire, d’évoquer avec une belle justesse le modèle suédois, cette croyance au progrès qui nous fait aujourd’hui défaut. Le progrès serait-il, par essence, iconoclaste ? Nous rentrerons dans la carrière quand nous aurons cassé la gueule à nos aînés. Faire table rase, pour le moins, d’une encombrante nostalgie. Et c’est aussi cela que propose Requiem sur roues. Alain Gnaedig part acheter une Saab, un certain modèle, une certaine représentation de la Suède qui assez mal continue pourtant à marcher. Il offre, au passage, une belle image de nos sociétés centrées sur la bagnole : « la vision du vide qui alterne avec la vision du néant. » Le parking d’un centre-commercial, un monde mondialisé. Une croyance qui jamais n’apparaît qu’abolie : « Et dans ces questions de foi, pourrait-on dire que les automobilistes sont une secte qui a réussi ? » Sans doute. L’auteur, en tout cas, parvient à nous promener dans ses souvenirs, comment il connaît la Suède par le dictionnaire, par ses traductions. Au passage, on se permet de rappeler que sur cette question, il faut lire les livre de Roy Jacobsen traduits par Alain Gnaedig comme il faut se laisser prendre à ce voyage dans un imaginaire finement ausculté.”
”« Requiem sur roues » est un ouvrage écrit au fil d’un périple dans le sud de la Suède à bord
d’une voiture mythique et disparue, une Saab 900 de 1993. Le Nantais Alain Gnaedig nous embarque avec lui. Traducteur, auteur et conducteur de Saab, Alain Gnaedig est de retour avec un ouvrage étonnant réalisé à bord de la mythique voiture des Suédois, un «tombeau poétique»,
selon ses mots, «à la mémoire d’un pays qui a incarné un modèle et une certaine idée du
progrès».
Pouvez-vous nous présenter ce dernier voyage littéraire?
Alain Gnaedig : « Requiem sur roues, c’est le récit d’un voyage dans une partie de la Scanie, une région du sud de la Suède, autour de la petite ville de Höganäs. Mon intention, c’était d’acheter une Saab 900, une des dernières produites en 1993, et de raconter ce que je voyais sur place et d’élargir l’angle de vue, sur l’Europe et le monde globalisé. Il s’agissait de partir
d’une réalité vécue pour effectuer en même temps un voyage dans l’histoire et l’âme suédoises. Avec cette voiture emblématique en guise de fil rouge et de prétexte, il s’agissait de montrer
et d’expliquer les changements dans ce pays que je connais depuis plus de quarante ans. Et puis, de réfléchir sur le progrès et la marche du monde, de montrer ses déroutes en suivant la
route.»
Comment est né ce livre ?
« Après avoir écrit un livre basé sur le GR du Pays nantais – Le Grand Chemin nantais –, j’ai eu besoin de me pencher sur une des autres régions du monde qui est essentielle pour moi : la Scanie. J’ai eu envie de partager cette expérience, en racontant des histoires, petites et grandes, en partant du réel, sans jamais perdre de vue une intention littéraire. »
De quelle façon avez-vous rédigé ce périple ?
« Je l’ai rédigé en Suède, au printemps 2024, en consignant beaucoup de notes dans un carnet. Je procède toujours ainsi, avec des notes manuscrites qui constitueront le matériau premier du texte. Je prends aussi des photos. Une fois rentré sur les bords de la Loire maritime, j’ai travaillé et retravaillé ces notes. J’ai vérifié certains faits via des sources écrites diverses : cela va d’articles de presse à des catalogues, en passant par des textes du XVIIIe siècle, comme le récit de voyage dans le sud de la Suède effectué par Linné, le père de la botanique moderne. »
D’où vous vient cet amour inconditionnel pour cette Saab 900 de 1993 ?
« Pour les Français, la voiture mythique, c’est la 2 CV ou la DS, la 4L, la 504. Pour un Suédois, il y a de fortes chances que ce soit une Saab 900. C’est une voiture d’ingénieurs pour un pays d’ingénieurs, très en avance techniquement et au design unique, une voiture sûre, qui protège ses passagers. C’est cet intérêt pour cette voiture si particulière qui est un des sujets du livre. Même si la marque Saab a disparu en 2011, je suis un fan. J’en ai eu huit et je roule encore en Saab. Pour moi, la Saab 900 reste une des plus belles voitures jamais construites. »
Qu’est-ce qui t’attire tant dans l’histoire et l’âme suédoises ?
« Il y a une quarantaine d’années, j’ai été attiré par la Suède pour son modèle social, très en avance en ce qui concernait les droits des femmes et des enfants, sur l’écologie et le partage des richesses. Il y avait surtout une exigence de justice sociale : dans la société suédoise et son programme, on ne laissait tomber personne. Cela me semblait bien. C’est pour cela que j’ai appris la langue et que je suis allé là-bas. Et puis, c’est le pays qui consacre les grands écrivains, n’est-ce pas ? Le Prix Nobel est décerné par l’Académie suédoise. »”
Dans un récit à la fois érudit et personnel, Alain Gnaedig prend le volant d’une Saab 900 pour retracer, au fil de la route, l’histoire d’un pays, de son industrie, et de ses utopies sociales. Un carnet de bord singulier où mécanique et mélancolie se confondent.