Revue de presse
“Bien que la Préhistoire constitue la période la plus longue de l’humanité et qu’elle fascine les scientifiques, les artistes et le grand public depuis le 19e siècle, l’histoire littéraire n’a accordé qu’une place marginale aux fictions mettant en scène les origines de l’homme. C’est par ce constat que Pierre Schoentjes, professeur de littérature française à l’Université de Gand, ouvre son dernier essai : Inventer des grottes : pré-histoires romanesques. L’auteur s’attache à explorer l’imaginaire de la préhistoire dans ce vaste corpus issu de la littérature occidentale que l’on rassemble volontiers sous l’étiquette plutôt vague de « fictions préhistoriques ». De Paris avant les hommes de Pierre Boitard en 1861, jusqu’au productions les plus récentes comme la série romanesque Les enfants de la Terre de l’états-unienne Jean M. Auel (1980–2011), l’ouvrage voyage à travers une production de plus d’un siècle et demi. Il accorde par ailleurs une attention particulière aux figures belges. Au-delà de l’incontournable J.-H. Rosny aîné qui, avec La guerre du feu en 1909, signe probablement le roman préhistorique le plus lu et le plus diffusé jusqu’à nos jours, le lecteur découvre avec intérêt des figures oubliées ou méconnues de notre patrimoine comme Pierre Goemaere, Gustave Hagemans ou encore Ray Nyst. Face à cette production hétéroclite, l’auteur prend soin de sortir des visions globalisantes et des études aux accents trop marqués par l’approche sociologique souvent utilisée pour étudier les phénomènes littéraires associés aux productions populaires et de genre. Car le roman préhistorique reste bien souvent cantonné aux marges des études littéraires, tout considéré qu’il est comme un genre sans ambition formelle ni thématique, simple rejeton du roman d’aventure et donc des littératures de masse que l’on rassemblait encore il y a peu sous l’étiquette de paralittérature. L’approche de Pierre Schoentjes, sensible et précise, s’attache à retourner au cœur des textes, à voir ce qu’ils nous disent, à analyser les histoires qu’ils nous racontent et les méthodes qu’ils emploient pour y arriver. Il fait ainsi émerger des figures et des œuvres singulières qui cohabitent, se répondent ou s’ignorent mais qui, malgré ce cadre historique commun, ne constituent pas, ensemble, un corpus homogène ou univoque. L’essai se divise ainsi en deux grandes parties. La première vise à explorer la manière dont l’archéologie préhistorique, son évolution et ses découvertes, ont influencé l’imaginaire des romanciers et des artistes. La seconde, dans un mouvement inverse explore la manière dont les représentations de la préhistoire dans l’art et dans la littérature ont pu influencer, parfois durablement, nos représentations de cette période historique. L’approche est très didactique et l’auteur aborde, chapitre par chapitre, quelques grandes thématiques dont il explore les variations à travers le temps et les œuvres : violence ; place de la femme ; mort ; rire ; racisme… Tout au long de l’essai, il entrelace ainsi l’histoire du roman préhistorique et celle de la science préhistorique pour illustrer la tenace influence que nos propres mœurs et mentalités exercent sur notre vision de cette période. En montrant à quel point les méthodes d’investigation scientifiques dépendent également des systèmes de valeurs dans lesquels les chercheurs évoluent, surtout lorsque l’objet d’étude porte sur des êtres dont l’imaginaire, les rites ou encore la pensée nous sont à jamais inaccessibles, l’essai rappelle aussi les travaux de philosophes des sciences comme Vinciane Despret. Les fictions préhistoriques, loin de l’illusoire reconstitution historique à laquelle on les enjoignait et les réduisait parfois, sont ainsi traversées par les enjeux contemporains de leurs auteurs. Les lire aujourd’hui, c’est découvrir une multitude de voix, une variété de talents, une diversité d’intentions et d’ambitions dans un corpus riche et varié que Pierre Schoentjes, et ce n’est pas là le moindre de ses mérites, explore avec cet attachement sincère qui donne au lecteur l’envie de s’y plonger.”
“Il y a toujours une part de mystère lorsque nous parlons ou voyons des grottes et autres souterrains. On y rentre ? Pour aller vers des découvertes, du vivant innommé, un côté Lovecraft, les temps d’avant les temps ? Ces questions prennent encore plus de sens lorsque nous y adjoignons la notion de préhistoire et celle de romans. Pierre Schoentjes, professeur de littérature française à l’Université de Gand nous offre un dense ouvrage intitulé Inventer des grottes, pré-histoires romanesques publié aux éditions Le mot et le reste pour explorer dans et par la littérature cette préhistoire. Cette dernière « constitue la période la plus longue de l’humanité : elle s’étend de la naissance du genre Homo, il y a environ 2, 8 millions d’années jusqu’à l’invention de l’écriture il y a un peu plus de 5 000 ans ». Mais qui la connaît, malgré les efforts de préhistoriens particulièrement pédagogues ? L’un d’entre eux, Richard E. Leakey estimait « que si l’Histoire de la Terre devait s’écrire dans un volume de 1 000 pages, l’homme apparaîtrait à l’avant dernière page et serrés dans le dernier mot, l’ensemble des changements esthétiques, techniques et symboliques de Chauvet à la polarisation des superpuissances et des voyages spatiaux ». Nous sommes dans l’abîme sans fond du temps. La littérature se perd dans ces périodes, « la durée se dissout dans l’espace ». Nous sommes dans le roman donc dans une part majeure d’imagination. Les romanciers cherchent à donner un portrait psychologique d’une supposée mentalité préhistorique. De La Guerre du feu (1911) de J.H.Rosny aîné aux Enfants de la Terre (1980–2011) de Jean Auel, le roman a contribué à modeler en profondeur l’image que les différentes générations se sont faites de la Préhistoire, estime Pierre Schoentjes. Il nous propose un vaste panorama de cette littérature. Les sources ne se limitent pas à l’Europe, le monde est grand en littérature.
L’ouvrage entend inventer au sens latin du terme, à savoir découvrir et imaginer. La première partie s’ouvre sur Romancer l’âge de pierre, un tour d’horizon qui brosse le tableau général et interroge sur la spécificité du roman préhistorique avec l’attrait du primitivisme. Nombre d’auteurs sont mobilisés même s’ils ont parfois peu écrit de romans sur cette période (Mérimée, Quignard, Malraux). D’autres vont accompagner les émotions dans les grottes ornées, boîtes à souvenirs avec le chamane de la grotte des trois-frères ou Les Bisons d’argile, une statue dans la grotte du Tuc d’Audoubert et le titre d’un roman. La seconde partie s’appuie sur Imaginer : la violence mâle, la condition féminine… Le temps long de la nature permet de distinguer le roman à durée de vie humaine et celui qui intègre l’évolution du climat, des paysages, le rôle des hommes dans l’évolution de leur environnement. La dimension raciste est évoquée. Enfin, intéressons-nous à deux caractéristiques attribuées un peu rapidement à l’homme : Le rire et les rituels funéraires. Le champ est vaste et les références littéraires sont multiples. C’est sans aucun doute l’un des intérêts que je découvre dans ce type d’ouvrage : chaque page nous invite à découvrir d’autres livres. Nous aussi grâce à Pierre Schoentjes, nous allons inventer-découvrir des grottes pré-histoires romanesques pour notre plus grand plaisir.”
“Depuis la reconnaissance de l’ancienneté de notre espèce au XIXe siècle, l’univers de l’« homme des cavernes » fascine tant le grand public que des auteurs majeurs comme Proust ou Malraux. Le roman fait écho à cette attirance pour les origines et, depuis La Guerre du feu de Rosny aîné jusqu’aux Enfants de la terre de Auel en passant par Les Héritiers de Golding, les écrivains de la Préhistoire se sont imposés comme des inventeurs au même titre que les spéléologues. Alors que le roman préhistorique est habituellement jugé à l’aulne du degré de respect envers les connaissances scientifiques, Inventer des grottes déplace la perspective pour opérer une lecture interne des oeuvres et interroger les liens qui s’établissent entre elles. Le travail de fouille, attentif aux écrits de préhistoriens tentés parfois de raconter des histoires, s’arrête à la littérature qui affleure aujourd’hui, mais exhume aussi une production ancienne et oubliée. L’essai trace les contours d’un imaginaire dont l’horizon n’est pas fait seulement de violence masculine, d’exclusion de l’Autre et de mystérieux chamanes, il s’ouvre aussi sur des environnements naturels préservés, des femmes fortes et des rires de joie.”